Argentine 2015-2018

D’Antonio Soto à Nelson Gallego

2015_M_Argent_4683_DxO
Fresque de Nelson Gallego sur les peuples de Patagonie en luttePhoto : Marion

Notre traque du Street Art continue. A Puerto Deseado, en Patagonie, nous rencontrons même un artiste : Nelson Gallego. Impressionnée par cette immense fresque, je retourne la voir avant de quitter Puerto Deseado. Un homme en salopette noire installe un filet noir au dessus d’une fresque inachevée, des pots de peinture jonchent le sol herbeux.

2015_M_Argent_4697_DxO
Nelson Gallego installe un filet pour se protéger du soleilPhoto : Marion

Nelson tout intimidé répond gentiment à mes questions. Il a mis un an pour peindre cette fresque qui commémore les grèves de 1921. Nous sommes sur les lieux où une partie de ces événements se sont déroulés. Au début du XXème siècle, Puerto Deseado était la première ville d’exportation de la laine produite dans la région. Sur cette place se trouvait une auberge, « La Leonesa », tenue par un couple aux idéaux socialistes et anarchistes : Cipriano López et Julia Diez, émigrants arrivés en 1909 de Leon en Espagne.

2015_M_Argent_4714_DxO
Cipriano López et Julia Diez, fondateurs de l’auberge  » La Leonesa »Photo : Marion

Lors des fêtes, le drapeau espagnol anarchiste côtoyait le drapeau argentin sur sa façade. Pendant les grèves les ouvriers se réunissaient dans cette auberge. La Leonesa fonctionna jusqu’en 1984 et fut détruite en 2001. En 2011 « El paseo temático La Leonesa Â», une promenade thématique, est créée pour conserver la mémoire de ces événements. Sur cette place, une exposition relate l’histoire des lieux et un mur de briques en délimite l’espace. Il reste quelques vestiges de l’époque.

2015_M_Argent_4699_DxO2
Nelson Gallego devant son oeuvre. Le personnage à la guitare représente l’homme libre, la générosité et l’humilité.Photo : Marion

Nelson Gallego a toujours vécu à Puerto Deseado, il est salarié par la municipalité pour peindre des fresques. Autodidacte, il dessine et peint depuis sa plus tendre enfance. A 20 ans, il arrête de peindre des tableaux pour se consacrer aux « murales Â» L’Argentin Ricardo Carpani, le mexicain José Clemente Orozco et Pablo Picasso influencent beaucoup sa pratique artistique et il n’hésite pas à faire des reproductions de quelques-unes de leurs oeuvres.

2015_M_Argent_4444_DxO
Hommage à Ricardo Carpani inspiré par l’oeuvre du peintre « Los inocupados » (Les Désoeuvrés)Photo : Marion
2015_M_Argent_4703_2_DxO
Reproduction de Guernica de Pablo PicassoPhoto : Marion

Il espère qu’il peindra un jour hors de Puerto Deseado, mais pour l’instant il a encore beaucoup de travail pour terminer les « murales » de l’espace de la Leonesa. Nelson regrette de n’avoir pas eu l’opportunité d’étudier aux Beaux Arts et reste persuadé qu’il est né pour peindre comme ses ancêtres, mais il a choisi une autre voie, celle des « murales ». S’il aime reproduire des oeuvres, il préfère inventer. Il ne fait aucune esquisse papier, peint directement sur le mur. S’il n’est pas satisfait, il remet une couche de blanc et recommence.

2015_M_Argent_4710_2_DxO
Nelson Gallego commence le deuxième panneau. On perçoit plus loin les panneaux restantsPhoto : Marion

Sa famille d’origine écossaise et africaine serait arrivée à Puerto Deseado vers 1910. Il y a de forte chance pour qu’elle ait participé aux événements de 1921 commémorés dans ses fresques.

Une sombre répression, rarement évoquée, s’est déroulée en Patagonie Australe en 1921 : la fusillade de 1500 grévistes. L’ouverture du canal de Panama en 1917 a profondément modifié les bénéfices réalisés par les grandes exploitations ovines de cette région et les grands propriétaires terriens, pour conserver leur rentabilité, rendent intolérable les conditions de vie des travailleurs dans la province de Santa Cruz, en Patagonie. Les révoltes sont inspirées par les idées socialistes et anarchistes en vogue dans le monde. Des grèves éclatent dès 1920, menées par un chef charismatique Antonio Soto dit « El Gallego Â» (l’espagnol) et Jose Font dit « Falcón Grande Â» (Le Grand Poignard).

La toute dernière colonne de grévistes à rester active sera celle menée par José Font, dans la zone de Puerto Deseado. L’armée, commandée par le Lieutenant-Colonel Valera, intervient. Malgré sa promesse, Varela fusillera Facón Grande et une cinquantaine d’ouvriers. Ensuite, les troupes de l’armée s’employèrent à arpenter toute la province de Santa Cruz à la recherche de grévistes dispersés, et fusillèrent plus de 1500 manifestants dans divers lieux de Patagonie. La campagne s’achèvera le 10 janvier 1922.

2015_M_Argent_5511_DxO
Les grèves en Patagonie : documents d’époque présentés au Centre d’Interprétation Historique de El Calafate. On peut voir un portrait d’Antonio Soto dit El Gallego à droite.Photo : Marion

Le musée d’El Calfate «El Centro de Interpretación Historica » évoque cette page tragique de la Patagonie, et aborde aussi le massacre des populations indigènes, génocide dont évite de parler la sphère officielle. Ce sont les mêmes propriétaires terriens qui ont commandité le massacre des ouvriers grévistes et l’extermination des populations indiennes.

Alonso Marchante, historien, dans son ouvrage sorti en 2013 « Menéndez El rey de Patagonia Â» dénonce la censure de textes relatant le génocide.

« Des centaines de peones des fermes ont été fusillés, la plupart d’entre eux étaient chiliens, mais il y avait aussi des asturiens, argentins, allemands, italiens. Ce sont les deux grandes tragédies de cette histoire. Je crois que l’on ne peut pas regarder cette histoire en souriant parce que c’est une histoire tragique, les peuples qui ont habité ces terres pendant des millénaires ont disparu d’une manière brutale, et il y a eu de plus une répression sauvage sur les peones qui ont travaillé ces terres Â»

2015_M_Argent_4702_2_DxO-1
Nelson Gallego applique une dernière retouche sous l’oeil bienveillant d’Antonio Soto dit « El Gallego », chef charismatique de la rébellion ouvrière.Photo : Marion

Merci à Nelson Gallego de nous avoir fait découvrir cette tragédie, de nous avoir fait visiter les ruines de la Leonesa, de nous avoir parlé de la vie de ces ouvriers, de cette époque…

  1. Labarre Henri

    Merci pour ces bons moments ,bonne route et que cette année 2016 vous apporte beaucoup d’autres personnages et endroits comme ceux là. Amitiés

    Répondre
  2. Labarre

    Bonjour et bonne année 2016. Merci pour cette leçon d histoire , vous avez rencontré un artiste hors norme avec beaucoup de talent. A bientôt pour de nouvelles aventures.

    Répondre
    • Nelson gallego

      Muchas gracias por llevar un pedazo de nuestra historia a su tierra y su gente por un mundo mejor para todos arte amor y salud!!!

      Répondre
  3. Christiane

    C’est un très beau reportage que vous signez là. Je suis tout émue de découvrir votre nouvelle approche du pays et de ses habitants. Votre intérêt pour cet artiste et son oeuvre leur donne une nouvelle dimension…dont Nelson n’a peut-être pas pris conscience.
    J’aimerais bien en savoir un peu plus sur Nicolas Hulot. J’ignorais qu’il était incarcéré.

    Bonne continuation.

    Répondre
  4. ESNAULT JY

    Bonjour et bonne année 2016,

    Merci pour votre rappel émouvant à la mémoire de ceux qui ont laissé la vie.
    Félicitations à Nelson pour son oeuvre.
    Bon voyage.
    Jean-Yves d’el Sandillonne…….

    Répondre
  5. Claire-Lise & Raymond Debrot

    Merci de continuer à nous faire rêver. Vos photos sont magnifiques et vos commentaires sont très intéressants et bien documentés. Bonne année 2016 et bonne suite de votre merveilleux périple.

    Répondre
  6. André daniel

    Merci de nous faire rêver en nous presentant des sujets sur l’histoire, la géographie, la géologie. ..
    Bonne continuation
    Bonne année de saint egréve, rue des peupliers

    Répondre
  7. Patrice Arluison

    J’aime beaucoup ta légende de la photo de Nelson posant devant sa grande fresque :
    « Timide, il ne sait comment se mettre. Son ombre s’échappe alors de son corps pour s’emparer du tableau.“
    Quand la poésie rencontre la photo et l’art pictural !

    Pat17

    Répondre
  8. BETHOUX

    Un grand bravo pour ce reportage passionnant.
    Vous avez une faculté à vous immiscer dans la culture de ce pays impressionnante.
    Besos
    Cath et Pete

    Répondre

Écrire un commentaire

  • (Ne sera pas publié)